Nada MERHI | OLJ
Après une nette amélioration au niveau du don d'organes observée au Liban entre novembre 2009 et fin 2013, grâce à un programme de coopération hispano-libanais qui a permis de mettre en place une structure nationale pour le don d'organes, cet élan pour sauver la vie des autres semble avoir perdu de sa vigueur. Le Comité national pour le don et la greffe des organes et des tissus (NOD Liban) confie que le programme est presque retourné à la case départ. En 2015, le nombre des donneurs a chuté jusqu'à cinq contre dix en 2014 et près de treize en 2013.
Les raisons de cette stagnation sont multiples. « La chose la plus simple est d'essayer de se débiner et de jeter la responsabilité sur les autres, en l'occurrence la population », confie à L'Orient-Le Jour le Dr Antoine Stéphan, vice-président de NOD Liban, à l'occasion de la Journée mondiale du don d'organes célébrée le 17 octobre. « C'est une attitude de facilité qui consiste à se déculpabiliser, alors que la faute réelle n'incombe pas à la population, mais au système libanais qui n'encourage pas ce don d'organes, poursuit-il. Or ce programme est une responsabilité de tout l'État, qui doit œuvrer pour assurer sa pérennité. La population n'est qu'une partie du problème. Elle n'en est pas la cause réelle. »
« Le problème, c'est que le gouvernement n'a pas adopté ce programme et ne lui accorde pas l'attention nécessaire, renchérit Farida Younan, coordinatrice nationale de NOD Liban. Il est mis en hibernation. »
Entre 2010 et 2015, quelque quatre-vingt-trois transplantations ont été réalisées contre dix-neuf avant 2010. Ainsi, cinquante-sept patients inscrits sur la liste d'attente ont reçu un rein, seize un cœur et onze autres un foie. De plus, le consentement familial a été amélioré, il est passé de 11 % en 2010 à 33 % en 2013. « Cela prouve que le programme est efficace, à condition qu'il bénéficie du soutien financier et logistique nécessaire », précise Farida Younan, expliquant qu'entre 2010 et 2013, le programme était soutenu par l'équipe hispanique, dans le cadre du protocole de coopération entre les gouvernements espagnol et libanais.
Coupure du budget
Pourquoi ce revirement de la situation après la fin de la mission de l'équipe espagnole? « En raison notamment de la coupure du budget », répond Farida Younan. « Faute de ressources financières, nous avons pratiquement suspendu toutes nos activités de formation continue, ainsi que l'organisation des séminaires, des ateliers de travail, etc., observe-t-elle. Sur les vingt-trois hôpitaux qui étaient affiliés au programme lors de la mission de la délégation espagnole, seuls dix continuent à collaborer avec nous, mais de manière intermittente. Actuellement, nous cherchons à survivre pour maintenir le programme. »
Or, pour pouvoir progresser, celui-ci a besoin d'un soutien continu et programmé. « Le directeur général du ministère de la Santé et le ministre sont convaincus de la nécessité de soutenir le programme, mais eux-mêmes n'ont pas le soutien nécessaire de la part du gouvernement, fait remarquer le Dr Stéphan. La sensibilisation de la population à elle seule ne suffit pas à le faire progresser. L'infrastructure est tout aussi importante. Le tout est un processus coûteux qui nécessite l'introduction d'une culture nouvelle dans la société. Si on ne reçoit pas ce soutien, on va devoir chaque quelque temps recommencer à zéro. » Ce qui nuit au programme.
NOD Liban est conscient du fait qu'en attendant que le programme reçoive le soutien nécessaire pour permettre son redressement, et faute de donneurs, il sera nécessaire que les cas urgents soient traités à l'étranger. La solution consiste toutefois à « améliorer le don et la greffe au Liban et à donner au NOD tous les moyens d'agir pour faire progresser le don d'organes dans le pays ». Cela permettra aussi à l'équipe locale de gagner l'expérience et l'expertise nécessaires pour assurer le suivi des patients greffés à l'avenir.
« Notre but est de parvenir à un mécanisme national qui permette l'accès au traitement, d'une manière équitable et juste, à tous les patients inscrits sur la liste d'attente du programme », souligne Farida Younan. Cette liste compte à ce jour 600 noms, dont trente-neuf urgences : dix enfants qui ont besoin d'un rein, vingt-trois adultes qui attendent un cœur, cinq adultes qui ont besoin d'un rein et un malade qui attend un foie.
Prévention des maladies
Sur le plan religieux, Farida Younan rappelle que « les représentants des différentes communautés avaient récemment signé leur carte de donneur au cours d'une conférence de presse, dans le but de dissiper tout malentendu sur ce sujet, expliquant que la religion ne s'oppose pas au don d'organes ». « Malheureusement, le problème n'est pas encore totalement surmonté, constate-t-elle. Un travail reste à faire et les représentants des différentes religions doivent jouer un rôle dans ce sens, en abordant la question dans leurs homélies du dimanche ou leurs prêches du vendredi. »
Sur le plan législatif, NOD attend toujours que le décret 1 442 soit amendé, de manière à cadrer tout le processus du don d'organes : les conditions requises pour l'ouverture d'un centre de transplantation ou d'une banque de tissus, l'annonce de la mort cérébrale, la procédure à suivre dans les hôpitaux, les conditions requises pour recevoir un don d'une personne vivante, etc.
« L'attitude ferme du ministre de la Santé a permis d'arrêter presque totalement le don d'organes à but commercial de donneurs non apparentés, insiste le Dr Stéphan. Le don d'organes de personnes non apparentés est ainsi passé de 52 % à 5 % et celui des donneurs apparentés de 32 % à 87 %. »
Et de conclure : « Le manque d'organes est le résultat de la demande qui est trop grande et de l'offre qui est assez réduite. Pour régler le problème, il faut œuvrer à faire diminuer la demande. Cela nécessite tout un travail de prévention. En effet, 70 % des malades qui ont besoin d'une greffe de rein sont des personnes souffrant d'un diabète mal suivi ou d'une hypertension mal traitée. Il s'agit de maladies qui peuvent être prévenues et traitées activement. C'est le rôle du ministère de la Santé et des sociétés médicales concernées. Il faut que la prévention soit faite de manière soutenue et fréquente. »